Conte pour cruciverbistes

Gloire aux petits mots ! Que serait une grille de mots croisés sans ces mots de deux ou trois lettres indispensables pour meubler les cases et apporter le complément nécessaire aux mots plus longs ? Sans eux, aucune grille n’aurait droit de cité dans les revues spécialisées pour cruciverbistes.

Siphomycète, épicycloïdal, ornithorynque, quelques mots dont la découverte provoque une joie intense chez le cruciverbiste. Ce sont des mots rois, réservés généralement au 1 horizontal ou au 1 vertical, positions clés de la grille. Tout vrai amateur de mots croisés sera plus heureux de trouver un champignon toxique au détour d’une définition qu’un cèpe délicieux au coin d’une forêt. Mais ces diplomates français du 17ème siècle, ces communes du Pas-de-Calais, ces gymnosophistes (philosophes hindous ascètes voyons !), tous ces aristocrates du vocabulaire ne pourraient pas se pavaner dans les grilles sans l’aide d’humbles petits mots brefs. Vous savez bien, ces petits mots de deux ou trois lettres bien pourvus en voyelles, en «r» nécessaires pour les infinitifs, en «s» indispensables pour les pluriels. Le xérès, lui, s’étale toujours à temps pour mettre un «x» aux hiboux, aux choux et autres genoux.

Les Oo, les Ob, les rus ou les aras perchés sur des ifs reviennent plus souvent que Karlskrona (port militaire de Suède) ou que Wittgenstein (logicien britannique) et bien que leur rôle soit on ne peut plus modeste, ils finissent au bout du compte par être plus célèbres. Hélas, leur popularité ne sort jamais du cadre de leur prison à carreaux noirs et blancs. Les petits mots restent bien sagement dans leurs cases et jamais personne ne songe à les en sortir pour les mêler à la conversation courante. Car enfin, qui aurait l’idée de demander au boucher de décrocher un gigot de son esse ? Qui penserait à traiter sa belle-mère d’espèce d’Ino ? Vous êtes-vous déjà extasié en humant un nard ? Avez-vous déjà comparé un flemmard à un aï ? Quand le mistral souffle, vous plaignez-vous de la fureur d’Éole au barman du coin ? Aa, petit fleuve qui traverse Saint-Omer, est, grâce aux mots croisés, plus souvent cité dans la presse que la Seine malgré tous ses méandres et le fait qu’elle traverse une sacrée agglomération ! La fille d’lnachos, lo (changée en génisse), voit son nom plus souvent imprimé dans les gazettes que n’importe quel autre personnage antique. Cependant, seuls les riverains de l’Aa savent s’il est pollué ou poissonneux. Quant à Io, pauvre fille, ses Lettres de noblesse brillent davantage dans les revues de gare que dans les somptueuses bibliothèques.

Si on écrivait un conte, comme pour réparer une injustice qui, depuis des ères, provoque la ire ? Petits mots, à vous la vedette. Au diable le gynandromorphisme !

Oc, les ures l’ont eu

Tristement, l’homme marchait le long d’un ru. Un ru anonyme qui n’était ni l’Aa, ni l’Ob et qui n’allait certainement pas se jeter dans quelque Oo majestueux. Râ se mirait dans le filet d’eau où nageait une ide aux reflets Ag et Cu. Vêtu de gris, ceint d’une écharpe jaune rappelant un obi, il marchait avec une lenteur d’aï, comme s’il craignait d’écraser les iules qui fuyaient sous ses pas pour se réfugier dans les opes des murs nus, sans oves ni ors. L’homme avançait, comme en plein reg, avec la grâce d’un comédien nô et la prudence d’un ute. Il était las, si las qu’il ne put plus faire un li. Bien qu’il eût l’âme zen, il soupira, cherchant désespérément une esse pour s’y pendre mais ni l’if ni le neck du décor ne semblait faire l’affaire. Comme le veulent les us, ce candidat ès suicide était contrarié comme s’il eut connu le funeste destin d’lno. Il réa d’une soudaine algie, était-ce un iléus dû à un excès d’entes rapidement avalées ? Il lui sembla que l’ost était à ses trousses, il chut. Il n’avait plus pour deux leis d’espoir, répandant autour de lui comme un nard de mélancolie. Il sortit alors de sa poche une flasque de xérès qu’il but, se rappelant quelques noces sur la Tille avec des amis qui partageaient avec lui l’ale, les ris, le rôt et les ers. « Lee, tu as perdu, na ! » L’homme se retourna d’un bond et aperçut Sem aussi distinctement qu’un ur au milieu de son erg. Il soupira encore, oint d’une étrange aura. Il était déjà à l’orée de l’Eden.

 

Dom's - 19 octobre 2013 à 15:13

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