Dick Annegarn s’est arrêté à Vaison

« Il faut être à la salle au moins trois quart d’heure à l’avance » avais-je précisé à Pierre, mon hôte et guide de cette journée du 23 novembre de l’an douze, placée sous les auspices des Dieux romains en la belle cité de Vaison-la-Romaine. Le soir même, rendez-vous avait été pris à la salle des fêtes de Séguret, à deux pas, pour un spectacle auquel jamais je ne pensais assister un jour, un concert de Dick Annegarn.

L’artiste est rare, trop rare. Boudé par les télévisions, par les organisateurs, par les radios, par la presse, retiré des turpitudes du show biz comme un ermite parti prêcher dans le désert, il draine derrière lui des admirateurs nostalgiques, comme moi, qui ont dans la tête (et dans le cœur) les mélodies de ses premières heures, qui remontent il y a si longtemps déjà. Dick n’est pas un chanteur, c’est une sorte d’extraterrestre primesautier et grave à la fois, venu d’une lointaine contrée du grand Nord, amoureux du verbe français comme le fut Van Gogh des couleurs de Provence. L’analogie entre les deux hommes, originaire de la même terre, la Hollande, sera d’ailleurs soulignée par Dick pendant son spectacle : « excusez-nous de chanter dans votre langue et de peindre vos couleurs. »

Alors que je me faisais les doigts sur ma première guitare, le premier 33 tours de Dick Annegarn tournait déjà sur mon tourne-disque. J’avais 19 ans, Dick était déjà pour moi un grand frère imaginaire. Sa grosse voix, son style, son jeu, tout me séduisait. Pour son caractère résolument original et un brin marginal, je classais les vinyles de ce poète-chanteur sur le rayon des créateurs, aux côtés de Brassens, de Le Forestier, de Vian, de Beaucarne. L’année suivante, en 1975, une mouche accompagnait mes années militaires, à Châlons-sur-Marne. Dans la piaule de la caserne, un transistor émettait de temps à autre des zoum-zoum-zoum. Entre Les Acadiens de Michel Fugain et L’été indien de Joe Dassin, virevoltait Mireille, de Dick Annegarn.

Il déambule son physique comme une sorte de grand Duduche soixante-huitard, ses accords de guitare sont délicieusement complexes (à se demander combien il a de doigts à la main gauche), le timbre de sa voix est reconnaissable entre tous et cependant jamais un imitateur ne l’a ajoutée à son répertoire. Ses textes sont complètement à l’opposé de ce qu’on peut entendre sur les chaînes de radio entre les pubs abrutissantes car Dick Annegarn chante tout et n’importe quoi. C’est à la fois génial et inattendu. Il pense à la poussière et il crée sur-le-champ une chanson qu’il dédie au balai (Faubert Waltz). C’est un chercheur musical, un explorateur de styles qui expérimente constamment de nouveaux sons. Sur scène, il passe de la guitare à l’accordéon, du piano à l’harmonica, il enchaîne le folk, la variété, le jazz, le blues, la musique ethnique, même s’il crée des chansons dissonantes, même si l’écoute est parfois inconfortable pour les néophytes. Il fait fi des conventions et des formats imposés par le dictat du disque pour le plus grand bonheur des amateurs d’originalité.

Quarante ans après la première écoute, je reste toujours accroché à sa musique, à sa voix, à ses mimiques. Dick Annegarn sait être drôle, très drôle même. Le public a beaucoup ri ce soir de novembre à Séguret, notamment par l’adaptation théâtralisée de Zangra, écrit par le maître Jacques. C’était la première fois que j’applaudissais Dick, entre deux prises de vues car j’étais bien placé, au premier rang, dans l’axe du micro, et j’y allais dru sur le déclencheur. Merci Pierre d’avoir fait diligence pour ne pas arriver à la bourre.

Quand j’y pense, j’aurais pu me remuer un peu pendant ces quarante années à me complaire dans le rôle de l’admirateur passif qui-ne-veut-pas-déranger-son-idole. J’aurais pu pousser la voiture jusqu’à Noisy-le-Grand où, sur un quai de la Marne, il avait amarré sa péniche à bord de laquelle il vécut pendant une quinzaine de longues années. Il m’aurait sûrement offert un coup à boire. Parce que simplement, il est sympa, Dick Annegarn, très sympa. Si on n’aime pas le chanteur, on ne peut pas ne pas aimer l’homme. J’aurais pu m’intéresser à ce qu’il faisait quand il s’est s’installé à Lille. Il a posé sa valise sous pas mal de latitudes, Dick, comme il le dit dans une interview (ne me demandez pas dans quel canard j’ai lu ça) : « on est comme des chiens, il faut pisser à un endroit quand on sent que quelqu’un d’autre a pissé là avant vous. En m’installant à Bruxelles, j’ai ajouté mon pipi à celui de Brel. » Cool l’image.

Cette année 2012, Dick Annegarn a fêté ses 60 ans. C’était le 9 mai. Pour l’anecdote, il est né le même jour qu’un grand penseur, Pierre Desproges (mais 13 ans plus tard). Aujourd’hui il a fait son trou à Laffite-Toupière, un village situé pas très loin de Toulouse. L’explorateur musical y mène une vie salutaire de paysan contemplatif, entre sa ferme, son tracteur, ses bois et son festival annuel du verbe. Tel un peintre qui plante son chevalet dans la nature, il peint ses chansons avec les mots qu’il glane dans les champs de Gascogne, dans sa belle vallée avec ses cucurbitacées et ses cultures labourées l’été.

D'autres vidéos du concert [ ICI ]

 

Dom's - 24 novembre 2012 à 10:52

Pas encore de commentaire

Ou