Enquiquinante loi du hasard

Il m’est arrivé un truc assez enquiquinant. Pas grave mais enquiquinant. Je suis à peu près certain qu’il vous est arrivé le même genre de truc. C’est ce qu’on appelle une loi, la loi des séries, la loi du hasard, appelez-la comme vous voulez mais c’est une loi très enquiquinante. Comme toutes les lois du reste, toutes restrictives et mercantiles au profit de ceux qui les pondent. Je ne connais pas une loi agréable. Cependant, vous pouvez braver la loi des hommes, jamais celle du hasard.

Ma petite mésaventure est somme toute très banale, permettez néanmoins que je vous la narrasse par le menu. A midi, j’ouvre une petite boite à conserve de coulis de tomate pour faire une sauce. A priori je fais tout comme il faut, je tire sur la goupille qui soulève le couvercle. Soudain je remarque que ma blanche main est salie par une noisette de coulis et qu’en prime il y en a qui s’est sournoisement renversée autour de la boîte. Juste ciel ! La sauce est encore vivante et tente de s’échapper in petto, de plus, la boîte est de mèche. Un morceau de sopalin et on oublie l’incident. Mais le soir, alors que je porte la boîte vers le container de tri sélectif, la voilà qui m’échappe, tombe par terre et, bien que vide, disperse des grosses gouttes bien rouges et bien épaisses tout azimut : sur mes guiboles, le tee-shirt, les murs, le sol, jusque sur le couvercle du container. Qu’est-ce que c’est que ce bins ? Les objets se rebellent à présent ? Je pense alors à cette loi, stupide, récalcitrante et terriblement enquiquinante (la répétition est volontaire pour que vous saisissiez bien l’aspect enquiquinant de la chose).

Voici quelques exercices simples qui démontrent l’enquiquinement de cette loi impitoyable.

Exercice intérieur

Vous vous trouvez dans une grande pièce, disons de 100 m2. On peut concevoir plus ou moins, c’est vous qui voyez. Cette pièce est totalement vide. Vous disposez de deux accessoires : un petit buffet bas sur pattes et une pièce de 1 euro (avec une pièce de 2 euros, ça marche aussi). Première phase de l’exercice : placez le buffet où vous voulez : dans un coin, au milieu, peu importe. Deuxième phase : positionnez-vous n’importe où dans la pièce. Troisième phase et c’est là qu’on rigole : laissez tomber sur le sol la pièce de monnaie. A votre avis, où va-t-elle terminer sa course ? Sous le buffet bien sûr. Et vous voilà en levrette tentant de récupérer d’une main rageuse la pièce rebelle qui, bien entendu, s’est planquée sous le meuble pour vous enquiquiner alors que, franchement, elle avait toute la place ailleurs pour s’étaler. La garce.

Exercice nocturne

Un soir, vous disposez une grande table sous un lustre suspendu au plafond ou sous la lanterne d’une tonnelle, dedans ou dehors, peu importe, l’essentiel est d’avoir un point lumineux au-dessus d’une table. Allumez la lampe. Placez ensuite, à n’importe quel endroit sur la table, même au bord (pas nécessairement sous la loupiotte), un verre rempli d’une boisson savoureuse, pour cet exercice nous choisirons du champagne, le moins cher et le meilleur, comme dirait Popeck, histoire d’avoir bien les boules à la fin de l’exercice et de ressentir davantage la dimension enquiquinante. Et maintenant patientez. Vous n’attendrez pas longtemps avant de voir débouler des ténèbres un gros papillon bien dégueulasse qui va se mettre en orbite autour du luminaire, dessiner quelques cercles frénétiques jusqu’à se laisser tomber complètement chlasse, devinez où ? En plein dans votre Moët et Chandon ! Ça fout pas les boules un truc pareil ? Il pouvait pas atterrir ailleurs ce con ? Ben non, comme la pièce de tout à l’heure, ça tombe pile où ça doit pas.

Exercice routier

Vous roulez tranquillement sur une route de campagne, bucolique et étroite. Aucun boulet ne rame devant vous, aucun excité ne vous colle au cul. Vous êtes peinard. Alors que vous vous apprêtez à franchir un petit pont champêtre sous lequel coule un ruisseau, vous apercevez une voiture qui arrive vers vous mais elle est encore loin. Les deux voitures se rapprochent, il est inévitable qu’elles vont se croiser, c’est une question de secondes. Quelle que soit la vitesse à laquelle roulent les deux véhicules, la loi du hasard fera de sorte qu’ils se croiseront au point le plus enquiquinant, c’est à dire sur le pont, resserré et négociable. Paf ! Et un retro en moins, un ! Et une montée d’adrénaline, une ! Ce test a une variante : si aucun pont ne figure sur votre trajectoire, un cycliste innocent fera parfaitement l’affaire, au prix d’une grande frayeur, car là encore, c’est à sa hauteur que les deux voitures se croiseront. Sauf si le conducteur qui suit le cycliste a la présence d’esprit de ralentir pour éviter de se déporter mais là vous en demandez beaucoup.

Vous connaissez l’histoire de la tartine beurrée qui tombe par terre, toujours du côté du beurre, comme le veut la loi du hasard. Je ne me souviens plus où j’ai lu une expérience intéressante à ce propos, peut-être dans la rubrique à brac de Gotlib. Partant du principe qu’un chat retombe toujours sur ses pattes, que se passe-t-il si on fixe sur son dos une tartine beurrée, le beurre en l’air et qu’on laisse tomber le tout ? Qui va gagner, le chat ou la tartine ? Si c’est la tartine, le matou va vivre un grand moment de solitude.

Les exemples de hasard enquiquinant ne manquent pas. Vous tombez sur la queue la plus lente à la caisse d’un supermarché, tandis que de chaque côté ça avance, ça avance, ça avance. Vous ne pouviez pas prévoir que la cliente ne retrouverait pas sa carte d’identité dans son sac à merdes parce qu’elle paie par chèque ou encore que la caissière ne pourrait pas enregistrer le prix d’un article à cause d’un code barre illisible et que le temps d’appeler un vendeur pour qu’il aille nonchalamment vérifier le prix au rayon à l’autre bout du magasin et qu’il revienne tout aussi nonchalamment, ça paralyse la queue qui nourrit des envies de petits meurtres d’Agatha. On devrait annoncer ce genre d’incident dans les supermarchés de la même manière que des voitures équipées de panneaux lumineux annoncent les bouchons sur les autoroutes. Et si c’est pas votre jour, la caissière attendra que vous ayez déballé l’intégralité de votre caddie sur le tapis immobile pour faire tranquillement sa caisse sous vos yeux cernés. Vous sentez monter le stress, là ? D’autant que vous réalisez que votre voiture est garée à la beauf à cause du parking bondé et qu’à tous les coups, un Bidochon en puissance va vous la bugner avec sa portière. Ben ouais, y’a des jours comme ça…

Allons sur l’autoroute. Au péage, vous vous retrouvez bloqué derrière un automobiliste qui a perdu son ticket, impossible de faire marche arrière. Vous décidez alors d’entrer en profonde zénitude au milieu des klaxons pour éviter de perpétrer un massacre avec la tronçonneuse que vous venez d’acheter à Bricotruc et qui a nécessité de prendre l’autoroute pour se rendre à la zone commerciale située en banlieue d’une grande ville.

A ces deux exemples de queue forcée et foutrement enquiquinante, on peut en ajouter un troisième, légendaire celui-là : la poste. La poste fait souvent office de centre d’assistés sociaux, tous les cas s’y retrouvent. Vous qui venez seulement y acheter un timbre, êtes contraint de poireauter derrière celui qui déballe interminablement ses problèmes au seul guichet ouvert. Vous vous demandez pourquoi il n’y a qu’un guichet sur cinq d’ouvert à dix heures du matin en plein mois d’octobre. Et quand enfin le client à problèmes se décide à tourner les talons, la guichetière se lève, vous plante et s’éloigne, allez savoir pour quelle enquiquinante raison. Peut-être pour se défouler cinq minutes sur le punchingball installé dans l’arrière-boutique parce que, pour elle aussi, la loi du hasard vient d’être très enquiquinante.

Malgré ces aléas, jamais vous ne gagnez le moindre centime au loto alors que vous jouez depuis des décennies, jamais vous n’avez la fève alors que vous avez ingurgité des dizaines de kilos de galettes des rois depuis votre enfance. Par conséquent, il y a belle lurette que vous n’espérez plus trouver une perle dans une huître, ni être le témoin d’une apparition d’ovni. Et les papillons nocturnes continueront encore longtemps à saloper votre mousseux. C’est la loi.

  

Dom's - 03 mai 2021 à 12:03

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