Et le beaujolais nouveau fut

Depuis que les farouches militants d'une sobriété hégémonique exigent qu'on boive du vin une modération qui frise l’abstinence, on a progressivement perdu l'esprit de fête que représente le troisième jeudi de novembre, jour traditionnel du beaujolais nouveau qui devrait être un jour aussi populaire que la fête nationale. Car le vin, c'est la France, avec le fromage et bien d'autres trésors de la gastronomie française.

Au début des années 90, nous fêtions dignement le beaujolais nouveau avec quelques amis bons vivants. La bacchanale se déroulait au café du Commerce, à Raphèle, près d’Arles. Nous n’étions que quelques-uns, en nombre inférieur aux bouteilles débouchonnées. D'autres années, nous étions davantage, c’était une bonne occasion de faire la fête. Je grattais ma guitare, Nanard déployait son accordéon, et, sans vergogne, nous chantions, buvions, fumions, pétions dans la soie, pour reprendre une formule amusante de Marie. C'était une joyeuse époque où passer du bon temps avait encore un sens, avant que les despotes de l'ordre moral n'interdisent de fumer, de boire, de ripailler. La plupart de ces joyeux drilles ne sont plus de ce monde. Marie, la patronne du café autour de qui on aimait se rassembler, s'est éteinte, et, en cette année 2020, Georges Dubœuf l'a rejointe. Elle, l'ambassadrice du célèbre Bourguignon et lui le maître du terroir, se sont retrouvés au paradis pour faire la fête sans nous, pauvres Français condamnés à picoler en solitaire, sans enthousiasme, dans une France qui part en sucette.

Hier, le journal télévisé évoquait la sortie nationale du beaujolais nouveau, avec reportages à l'appui. On n'en parle pratiquement plus désormais, on tend même à l'ignorer, à l'oublier. Car évoquer publiquement le vin, donc d'alcool, est devenu honteux, coupable d'incitation à la débauche, ainsi le voient les procéduriers imbéciles aux principes nauséabonds pour qui parler de vin, c'est comme parler de cul, c'est choquant. T'as le droit de dire que tu te bourres la gueule, mais il faut obligatoirement préciser que tu le fais « avec modération » sous peine d'être soumis à la damnation éternelle.

Les puritains oublient que le premier miracle du Christ fut de faire du vin, c'était en Galilée, aux noces de Cana (ne pas confondre avec Saint-Cannat, dans les Bouches-du-Rhône). Jésus trouvait que boire de l'eau, c'était trop fade, aussi, sans se poser de questions, abracadabra, il transforma six jarres de flotte en vin, à la grande satisfaction des noceurs qui burent plus que de raison. L'histoire ne précise pas si c'était du Saint-Emilion, du Gevrey-Chambertin ou du Georges Dubœuf mais il ne devait pas être dégueulasse. Vu les super-pouvoirs du Messie, il a dû faire les choses comme il faut, il n'a pas fait de la piquette, ça devait être du fameux puisqu'on en parle encore. Vous vous rendez compte ? Le mec, il découvre qu'il a le pouvoir de ressusciter les morts, de faire caracoler les paralytiques, de multiplier les petits pains au chocolat, de faire des miracles, et la première chose qu'il fait, le type, c'est du pinard. C'est pas beau ça ? Un gars comme lui ne peut que forcer à l'adoration. Alléluia, nom de Dieu ! Depuis, c'est pas de la Badoit que les curés sirotent dans leur calice.

Les vignerons, récoltants, négociants et tous ceux qui balancent leur vie au service de la dive bouteille sont des bienfaiteurs de l'humanité. Forts de leur expérience, ils transforment in petto la triste routine métro-boulot-dodo en une devise ô combien plus joviale, ralliant les besogneux, les fêtards et les prolos sous leur étendard : bistro-goulot-dodo.

Chaque année, en ce jour vinicole, l'érudit se prononce d'un air inspiré sur le beaujolais nouveau, lui trouvant une pléthore de réminiscences fruitées, ici et là, on entend et on lit avec amusement « il a de la banane », « il a de la framboise », « il a de la pomme », voire « il a de la cuisse ». Pour ma part, c'est banal, j'ai toujours trouvé qu’il a du raisin.

Mes amis, en ce jour national, levons nos verres et clamons d'une seule voix sur l’air de la Marseillaise : vive le beaujolais nouveau, vive la France !


J'aurais pu faire le montage photo avec d'autres étiquettes de beaujolais nouveau mais pour moi, Georges Dubœuf sera toujours LA référence, et ce, depuis que je bois du beaujolais.

Dom's - 18 novembre 2021 à 22:08

Pas encore de commentaire

Ou