Jette-moi cette expression à la poubelle !

L’humain enrichit constamment son vocabulaire des termes qu’il entend, dans un étrange mimétisme verbal. Sans s’apercevoir de l’aspect souvent ridicule et irritant de ces termes employés à tout propos, il les glisse dans la conversation jusqu’à ce qu’à la longue, cela finisse par devenir une manie ou un tic de langage. Certains de ces termes se sont définitivement (et stupidement) substitués à d’autres, c’est le cas par exemple du mot souci qui a remplacé problème. Une aberration linguistique étant donné que les deux mots n’ont pas  le même sens. Un problème est une difficulté, un souci est une inquiétude. Un problème n’entraine pas forcément un souci, inversement on peut avoir des soucis sans qu’il y ait pour autant de problème.

Précisons au passage que nombre d’expressions de nos pères et grands-pères sont aussi saugrenues, exemple « comme une trainée de poudre », « à couper le souffle », « mettre son grain de sel », « fumer la moquette », « mettre les points sur les i », « prendre son pied », « du beurre dans les épinards », « se prendre un savon », « tomber dans les pommes », « ne pas faire long feu », « bourrer le mou », etc, ainsi que toutes celles qui se réfèrent aux animaux (anguille sous roche, puce à l’oreille, coq à l’âne, dindon de la farce, langue au chat, queue de poisson…)

Regroupons les termes les plus importuns dans une sorte de lexique présentant un à un ceux qui sont atteints de ces tics linguistiques qui souvent se cumulent. Le genre masculin est utilisé par commodité, bien que les deux sexes soient aussi affectés l’un que l’autre. Impossible d’être exhaustif dans cette liste d’expressions bonnes pour la poubelle.

L’actiste : Il ne lance pas une démarche, il n'organise pas, il acte. C'est un grand actiste.

L’alabasiste : Il a décidé de convertir l’expression à l’origine, jugeant plus opportun de préciser "à la base".

L’attendiste : Il termine souvent ses phrases par "attends" pour de multiples raisons qui vont du désaccord au manque d’arguments.

L’aujourdaujourduiste : Il tient à préciser qu’il parle du jour présent par un "au jour" qu’il ajoute à aujourd’hui, ce mot étant déjà un pléonasme, hui signifiant ce jour. S’il ajoute un autre au jour à au jour d’aujourd’hui, ça donne : "au jour du jour d’aujourd’hui", ce qui, étymologiquement signifie "au jour du jour d’au jour de ce jour". Plus fort que Raymond Devos.

L’aufinaliste : Il remplace le terme finalement par "au final", de la même manière qu’on le ferait pour totalement par "au total", machinalement par "au machinal", fatalement par "au fatal", principalement par" au principal" etc.

Le bémoliste : pour lui, plus de défauts ni d’inconvénients, que des "bémols". Plus fort que Mozart et Beethoven réunis.

Le bonnecontinuationiste : Friand des expressions du type "bon appétit", "bonne fin de journée", "bon film"… pour lui, la continuation des événements n’échappe pas à la règle par les "bonne continuation" dont il use et abuse. Formule fréquemment employée par les serveurs au restaurant.

Le çalfiste : Pour lui, ânonnement parlant, "ça l’fait", "ça l’fait pas", "ça va pas l’faire", sans qu’il soit en mesure de préciser à quoi se rapporte le complément l’.

Le çaviste : C’est plus fort que lui, il demande systématiquement si "ça va" à tous ceux qu’il salue. Ne pas confondre avec le caviste qui n’est pas un tic.

Le céssahiste : Non contrariant, il abonde les propos d’autrui par d’intempestifs "c’est ça".

Le cerisesurlegatiste : Pour désigner qu’un élément favorable s’ajoute à l’objet de son récit, il conclut par une "cerise sur le gâteau".

Le dantéréviste : Avec lui, il ne faut pas insister sans quoi il vous paralyse de son arme fatale par un péremptoire "dans tes rêves !"

Le dechéziste : A l’entendre, il existe une multitude de sociétés spécialisées dans autant de mots dont il colore son vocabulaire : cuit "de chez" cuit, moche "de chez" moche, averse "de chez" averse, sale "de chez" sale, énervé de "chez énervé", à poil "de chez" à poil, marron "de chez" marron, nul "de chez" nul… plus cinquante mille autres.

Le désoliste : A dire sans cesse "j’suis désolé" ou "désolé" tout court, on se demande s’il ne va pas se mettre à pleurer.

Le doncvoiliste : il conclut souvent une présentation par "donc voilà". Formule fréquemment employée dans les vidéos.

Le ducoupiste : "Par conséquent", "dans ce cas", "ainsi", "dans ces conditions"... à ces formules usuelles, il préfère son redoutable "du coup" qu'il dégaine à tout bout de champ.

L’ellépabellaviste : Contemplatif dans l’âme, il aime placer un "elle est pas belle la vie" pour indiquer qu’il ne demande rien de plus.

L’en-modiste : Comme il le souligne, il n’est pas énervé, il est "en mode" énervé, il n’est pas allongé dans son hamac, il est "en mode hamac", il ne lit pas, il est "en mode" lecture, etc.

L’entreguillemétiste : Il ajoute fréquemment des "entre guillemets" à ses propos, une façon de les considérer comme empruntés, accompagnant parfois l’expression d’un geste mimétique des doigts (index et majeur) en forme de crochets. C’est le tic le plus contagieux et le plus horripilant.

Le fordecafiste : Il a la curieuse habitude d’évoquer le "fort de café", faisant probablement référence au videur du bistro du coin.

Le gériste : Il ne maitrise pas, il gère. Rien à voir avec une quelconque gestion de personnel ou d'entreprise.

L’halluciniste : II n’en croit pas ses yeux au point de se sentir victime d’hallucinations comme il le prétend par un affirmatif "j’hallucine !" A noter qu’il est l’inventeur du verbe halluciner.

L’hypériste : Pour lui, ce n’est ni très, ni super, ni beaucoup, ni archi, c’est "hyper".

Le javouiste : La moindre constatation est pour lui un aveu, il le reconnait par les "j’avoue" dont il ponctue ses propos.

Le jéhenviddiriste : Il insère un pompeux "j’ai envie d’dire" dans son monologue, suivi d’une brève hésitation, pour souligner ce qu’il va dire afin d’aiguiser l’attention de son auditoire.

Le jtedipiste et le jteracontepiste : Paradoxe du bavard invétéré, pour lui il est difficile de raconter les faits, si on en croit ses "j’te dis pas" ou ses "j’te raconte pas" qu’il prononce parfois.

Le justiste : Pour lui, tout est "juste", ainsi, ce n’est pas incroyable mais "juste incroyable", ni impossible mais "juste pas possible". Ne pas confondre avec le justicier (comme Zorro).

Le latotaliste : Quand il atteste qu’on lui a fait "la totale", il ne parle pas d’une hystérectomie, mais de la révision complète de sa voiture.

Le limitiste : Pour lui, tout est "limite" quelque chose, par exemple son voisin n’est pas simplement abruti, il est "limite abruti".

Le maipaquiste : Il aime préciser que les possibilités sont étendues par un "mais pas que" placé en fin de phrase.

Le mêmepamaliste : Qu’il se prenne un réverbère ou qu’il tombe de cheval, il clame son invulnérabilité par un joyeux "même pas mal !"

Le mêmepapeuriste : Rien n’effraie ce téméraire, comme il se plait à le confirmer par un retentissant "même pas peur !"

Le morteliste et le céhuneturiste : Pour lui, quand quelque chose est agréable ou délicieux, cela prend des proportions funestes, à en croire les "c’est mortel", voire "c’est une tuerie" qu’il prononce à cet égard.

L’obligiste : Pour lui, les faits n’échappent pas à une certaine obligation comme il le souligne par un impérieux "obligé !" ou "c’est obligé !"

L’onésuriste : Lui, il ne dit pas c’est un plat exotique, mais "on est sur" un plat exotique, il ne dit pas c'est un produit de luxe mais "on est sur" un produit de luxe, etc. Tic fréquent dans les présentations vidéos.

Le petiste : Il aime que les choses soient petites, comme il le précise par une "petite" balade, une "petite" faim, une "petite" photo, une "petite" visite, un "petit" vin, un "petit" conseil, un "petit" verre…

Le planiste : Tout est prétexte pour lui à établir des plans, "bon plan", "plan B", "plan sur la comète", "plan de table", "plan cul"…

Le plutopamaliste : Quand il explique le fonctionnement d’un objet ou d’un système, ce ni plaisant, ni agréable, ni facile, c’est "plutôt pas mal".

Le poinbarriste : Il a la curieuse habitude d'épeler la lettre A en morse : "point barre", pour terminer une phrase de façon catégorique, une façon de dire "si t’es pas content c’est pareil".

Le queduboneuriste : Pour lui, le bonheur n’est pas seulement dans le pré, il est partout, comme il l’affirme par ses "que du bonheur" à tout propos.

Le quelquepariste : Allez savoir pour quelle raison, il précise que "quelque part" les choses se déroulent comme il les raconte.

Le raccordiste : Lui, il n’est pas d’accord, il est "raccord".

Le situviste ou le sivouvouliste : Il ponctue ses phrases de "si tu veux" (ou "si vous voulez"), car il s’aperçoit que ce qu’il dit est assez confus.

Le tchatchaoiste et l’aplusiste : Il remplace le au revoir par "à plus" ou par "tchao-tchao", le tchao seul lui semblant insuffisant.

Le tendanciste : Aficionado de la publicité, pour lui, tout est "tendance" quelque chose, voire tendance tout court.

Le toutafiste : Champion du ni oui ni non, il a définitivement remplacé le oui par "tout à fait".

Le troboniste et le trofortiste : Il est submergé par l’effet excessivement délicieux (ou puissant) que provoque l’objet de sa convoitise (ou de son admiration) par le "trop bon !" (ou "trop fort !") dont il use et abuse pour le qualifier.

Le yapadsouciste : Pour lui, les problèmes n’existent pas et n’ont jamais existé, il n’y a plus que des "soucis", ou plutôt "pas de souci", comme il le confirme à la fin de chaque propos par ses fréquents "y’a pas d’souci !"

Le yapaphotiste : Ennemi de la photographie, il rebute à recourir à ce procédé par un indiscutable "y’a pas photo" lorsqu’il décrit une comparaison.


Dans le monologue ci-dessous, nous sommes face à une championne hors concours qui réunit en quelques phrases la totalité des expressions de cette liste, plus d’autres non répertoriées ici. Ecoutons ou plutôt lisons ce que cette jeune fille raconte à sa copine à propos d’une rencontre mémorable. Il manque quelques mots empruntés à la novlangue pour rendre ce discours encore plus superficiel. Un monologue à peine exagéré de ce qu'on entend dans la réalité. C’est de la haute voltige, du tic haut de gamme.
[ Traduction du monologue en bon français ]

Grosse bouse

    Ça va ? J't'ai pas dit, hier, j'ai rencontré Grows Booze, il est canooon, c’est une tuerie ! J’le kiffe grave, j'avoue. Bah, du coup, je lui ai demandé un petit selfie. Pas de souci, trop bon ! Regaaarde, il est plutôt pas mal, hyper sympa même, mais pas que… en mode cool quoi, j'adore. Attends ! On est sur du lourd, là ! Et cerise sur le gâteau, il m’a fait la bise, sauf que, petit bémol, il m’a marché sur le pied ! Même pas mal, je gère. J'te raconte pas le délire ! Que du bonheur !
    Hé, à côté de moi, y’avait une meuf, genre j’me la pète, qui lui demande son numéro de portable, tu vois. La totale ! J'le crois pas. Dans tes rêves, ma belle ! J’hallucine là ! Franchement c’est nul, elle est grave de chez grave, la fille, carrément limite, non ? Désolée, mais je trouve ça un peu fort de café. Quelque part, Grows, il a dû se dire que ça va pas l’faire, entre guillemets. Il l’a pas calculée, point barre. Trop fort le type, mort de rire ! Ha ha ha ! Heuuu…
    Devine ! Il m’a filé un petit billet pour son prochain concert, tout à fait ! Juste génial ! Bon plan. Elle est pas belle la vie ? Bien évidemment, j'ai acté et je suis restée zen, tu sais, même pas peur ! Enfin, j’allais pas lui sauter au cou, c'est clair. En fait, à la base, je suis plutôt réservée si tu veux, c’est ça. Au jour d'aujourd'hui, les chanteurs comme lui, tendance pas fier, j’ai envie d’dire, c’est juste rarissime. Entre Booze et les autres, y'a pas photo, obligé ! On est raccord.
    Tu sais quoi ? Il est monté dans sa bagnole en me disant un truc genre bonne continuation. Au final, je lui ai répondu tchao tchao, à plus. Donc voilà !

 

Dom's - 16 février 2022 à 07:37

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