La famille Troudebal reçoit

L'été est une saison où on se lâche. Le soleil contribue à émanciper les corps pour leur donner l'indispensable teinte bronze, atout social inestimable qui distingue si admirablement les bronzés de la masse populaire au teint blanchâtre. Les chaudes soirées sont propices aux réceptions, l'occasion de se retrouver sous les étoiles autour de quelques grillades dont les vapeurs embaument l'atmosphère estivale. La plupart des gens sont discrets et reçoivent discrètement. Chez eux pas d'éclats de voix ni de rires gargantuesques, on parle modérément et on mange en silence. Hélas toutes les familles n'observent pas cette règle de bienséance pourtant fort agréable pour le voisinage. Il existe une certaine population de familles primaires, comme monsieur et madame Troudebal et leurs niards, qui parviennent naturellement et systématiquement à transformer une banale réception en un épouvantable bordel, éclaboussant sans vergogne de leurs bruits indécents les malheureux citoyens qui ont eu la mauvaise idée de résider dans leur périmètre.

Les Troudebal sont des parvenus. Ils aiment bien montrer à leurs voisins que chez eux on sait s'amuser, avec pas grand-chose certes, mais on s'amuse comme des petits fous. Quand les Troudebal reçoivent cousins ou amis, ça gueule à tout-va, c'est l'émeute dans les grandes largeurs, tout le quartier en profite, pas de répit pour les oreilles alentour. Chez les Troudebal, les échanges prennent des proportions démesurées, l'arrivée des invités est un remake du débarquement de Normandie. La piscine-partie est un véritable tsunami avec hurlements et beuglements assortis. Quant à la soirée barbecue, c'est mai 68 sans les pavés, c'est un déploiement de dialogues dont la platitude mériterait les palmes de la consternation.

Voici ce qu'on peut entendre chez les Troudebal un soir d'été. Attention c'est du brutal, plus fort qu'Emmanuel Kant et Aristote réunis (quoique les conversations d'intellos qui se masturbent le cerveau sont tout aussi chiantes).

― AH ! AH ! AH ! AAAYYYAAH !! NAAAAN MAIS T'ES NUUUULLLE HÉÉÉ !
― OH ! ENLÈVE TA MAIN GROS VICELARD !
― AH AH HÉÉÉÉÉÉ ! OH ! OH ! OH !
― ARRRÊÊÊTEUUU !!! T'ES TOUT MOUILLÉ !
― TU PEUX M’PASSER L'POT D'MOUTARDE ?
― CHAIS PAS OÙ IL EST !
― LÀ SOUS TON NEZ, T'ES BIGLEUX ?
― HÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎ
― ARRRÊÊÊÊÊTTT !
― OUUIIIIINNNNNNNNNNNNNNNNNN
― T'AS VU LE MATCH HIER ?
― WOUAH CE PENALTY, PUUUTAIIN
― OUIIIIIINNNNNNNNNNNNNNNNNN
― Je crois que Bachizéniel* a un souci
― HEIIINNN ? PARLE PLUS FORT PUTAIN, J’ENTENDS RIEEEN !
― BACHIZÉNIEL A DU SE FAIRE MAL, TU L'ENTENDS PAS ?
― OOOH MON DIEUUU ! LE PAUV' PETIT ! VIENS VOIR MOUMOUGNE…
― MAIS ARRRÊÊÊÊÊTTT !
― HÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎ
― OUIIIINNN HIIIINNN HIIIIIINNNNNN
― … modrkwxs… pefgdblhvapzrxde…
― DE QUOUAAAA !!! HÉ ! HO ! T'ETAIS BIEN CONTENT L'AUT' FOIS ! ALORS HEIN !
― HÉ CLITOREINE** , TU SAIS PAS QUOUA ?
― NAAANNN…
― AVEC GUSTAVE-LÉOPOLD, ON A PRÉVU D'ALLER EN GUADELOUPE L'ANNÉE PROCHAINE.
― FAIS GAFFE DE PAS CHOPER LA MALARIA, TU SAIS, DANS CES PAYS…
― TU CROUAAAS ?
― PARAIT QUE DANY BRILLANT Y VA SOUVENT, Y Z'EN PARLENT DANS TÉLÉZOB.
― J'VAIS P'TÊT' LE RENCONTRER ALORS ? J'ADOOOOORE !!
― HÉÉÉÉÉ ! TU FAIS QUOI LÀÀÀ ? HMFFF !
― ARRRÊÊÊÊÊTTT !
― ALLEZ ! A LA FLOTTE !
― HÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎ
― DÉCOOONNE PAS ! MON FUTE Y COÛTE UNE BLINDE !
― RIEN A BRAIRE ! AU JUS ! AH ! AH ! AH !
― NAAAAAN ! ( PLOUFFF ! )
― AH ! AH ! AH ! AH ! LA TROOONCHE !
― YARK ! YARK ! ALORS, ELLE EST BONNE ?
― P'TAIIIN ! T'AS NIQUÉ MON PHONE ! ... TA MÈRE !
― C'EST CON C'QUI T'ARRIVE ! AH ! AH ! AH !
― HÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎ
― ARRRÊÊÊÊÊTTT !
― QUI C'EST QUI VEUT DU CAFÉÉÉÉÉÉ ?
― Pas moi…
― VULVINE, T'EN VEUUUX ?
― T'AS PAS DU DÉCA ?
― NAN J’EN AI PÔ ! ET TOI MARINADE, T'EN VEUUUX ?
― JUSTE UN FOND ALORS, … TOOOP !
― ARRRÊÊÊÊÊTTT !
― AH ! AH ! AH ! AH ! AH ! AH ! AH ! AH !
― HÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎ
― AH ! AH ! AH ! AH !

Ce florilège verbal dure pendant des heures. C'est interminable. Des échanges aussi gratinés que ceux-là résonnent dans toute la France pendant les deux mois d'été, des plaines du Nord aux confins de Provence. Ingrédients indispensables : une villa, une piscine et un barbecue. Réunissez ces trois éléments et tôt ou tard vous allez voir, ou plutôt entendre, les spécimens les plus raffinés du prolétariat qui, à la faveur d'opportunités favorables, ont vu leur niveau gagner quelques échelons dans la société. Alors il faut que ça se sache, il faut le gueuler, il faut pourrir la vie des autres, excéder les gens paisibles aux alentours, ceux qui n'emmerdent personne.

Quand ils ne partouzent pas sur leur terrasse, les Troudebal envahissent les sites naturels après avoir abandonné leur chien sur une aire d’autoroute où ils ont également laissé leurs déchets sur l’herbe en guise de carte de visite. Comme une horde de paparazzis, les Troudebal défigurent les beaux villages par leur seule présence, ils grossissent un peu plus chaque année la population nuisible inhérente au tourisme de masse qui font des paisibles villages et des grands sites géologiques de sordides arènes où se rassemblent en troupeaux, les badauds bavards et avides de selfies qui s'étalent sur Facebook avec les vidéos d’accidents réalisées avec un sans-gêne qui frôle le sacrilège et la violation. Assujettis à la télévision, un reportage leur a martelé que cet été, c'est Mes-Couilles-En-Quercy qu'il faut absolument visiter car c'est LE village à voir, unique, incontournable, le... « havre de paix dans son écrin de verdure », le village préféré des cons. Littéralement pris d’assaut, ces charmants villages voient leurs rues et leurs places défigurées par d’immondes parkings, par des boutiques à touristes où, en hordes, les Troudebal achètent des babioles du terroir made in China.

Quand arrive l’hiver, les Troudebal se retrouvent en meutes sur les pistes des stations de ski, transformant la montagne éternelle en une redoutable concentration de trous du cul snobinards fraîchement équipés. Et le soir, rassemblés autour d’une grande table dans la salle du restaurant du chalet-hôtel, dans une confusion collégiale, les Troudebal repartent dans leurs dialogues dont la richesse et l'éloquence feraient pâlir Michel Audiard.

― AH ! AH ! AH ! AAAYYYAAH !! NAAAAN MAIS T'ES NUUUULLLE HÉÉÉ !
― OH ! ENLÈVE TA MAIN GROS VICELARD !
― AH AH HÉÉÉÉÉÉ ! OH ! OH ! OH !
― ARRRÊÊÊÊÊTTT !
― HÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎ
― …

* Les enfants des Troudebal portent des prénoms imprononçables
** Les prénoms des Troudebal sont assez caustiques
(image Pixabay)

 

Dom's - 30 juin 2021 à 23:22

2 commentaires

Ou

véro le 07 octobre 2021 - 19:35

télézob 04

Mauricette le 15 septembre 2021 - 11:39

c'est pas possible, vous êtes venu chez moi avec un enregistreur ! c'est quasiment ce que j'ai entendu derrière ma haie il y a trois jours, je croyais devenir folle du bordel que mes con de voisin ont mis, et comme dans votre truc, ils se sont balancé tous habiilé dans leur piscine, et aussi ils ont un gamin qui arrête pas de brayer, à croire que tous les familles sont de trou de balle. mort de rire. merci, sa m'a un peu réconfortée de voir que je suis pas toute seule.