La valse des Facebookeurs

Comme peut le laisser supposer le titre, cet article ne fait en aucun cas le procès de Facebook*. Avec le téléphone mobile, voici deux merveilleux outils de partage et d’échange. Si ces outils de communication ont bouleversé le quotidien, leur utilisation est devenue au fil du temps plus que critique. J’ai en mémoire cette photo d’une douzaine de lycéens vautrés sur des bancs dans une galerie de peinture. Indifférents à l’exposition pour laquelle ils sont venus, ils ont tous (et toutes) les yeux braqués sur leur téléphone mobile, captivés par leur écran de poche, occupés à massacrer l’orthographe sur Messenger, la messagerie intégrée à Facebook car avec le portable, les deux ne font qu’un.

Facebook a pour principal objet la diffusion de photos et de vidéos des bons (et mauvais) moments de la vie à la manière d’un journal, ainsi que le partage de tout un tas de choses, drôles ou pas, glanées sur la toile. Pour beaucoup d’utilisateurs, pour ne pas dire la totalité, ce réseau social très populaire a fini par se substituer à toutes les autres formes et supports de communication. On ne se téléphone plus, on ne s’écrit plus, ni courrier, ni e-mails, tout passe par Facebook. Intégralement. Que ce soit les vœux du Nouvel An, les anniversaires, les décès, les naissances, adieu les faireparts, Facebook ratisse tout, de façon collégiale. Tous les événements marquants sont soumis à l’aspirateur Facebook, sans distinction, sans mesure, sans vergogne, sans scrupules, sans intimité. Facebook fait de la majorité de ses adeptes, principalement la jeune génération, des disciples dépendants. Nous sommes plus de deux milliards de Facebookeurs sur Terre.

Il n’y a pas si longtemps, pour présenter ses vœux, on écrivait une jolie carte qu’on glissait dans une enveloppe, qu’on timbrait et qu’on postait. Ces gestes appartiennent désormais à la préhistoire, Facebook favorisant la paresse intellectuelle. Non seulement on ne s’envoie plus de carte mais on ne se téléphone pas davantage et on rédige encore moins un e-mail en respectant la forme (majuscules, ponctuation…). Fini tout ça. On se contente désormais d’écrire « Belle année à tous » sur sa page Facebook estimant avoir présenté ses vœux à l’ensemble de ses amis et connaissances.

C’est par Messenger qu’on répond aux e-mails plutôt que de répondre directement à la suite de l’e-mail, c’est plus fun. La messagerie de Facebook est devenue le moyen de correspondance exclusif dont personne ne parvient semble-t-il à se passer. Pourtant, Messenger est une passoire, un redoutable foyer à virus. C’est la pire messagerie du web, truffée de mouchards, même le KBG ne dispose pas d’indicateurs aussi efficaces. On reproche à Facebook de collecter des informations personnelles sur ses utilisateurs, le comparant à Big Brother, le personnage emblématique de George Orwell. Facebook aurait tort de ne pas se servir de sa formidable machine à soutirer dès l’instant où ses adeptes sont disposés à fournir volontiers tous les renseignements personnels demandés. Sous des dehors ludiques, la machine fonctionne à merveille. Mieux que ça, elle rend ses utilisateurs accros corps et âme.

Le comportement des utilisateurs de Facebook est parfois consternant. D’abord à travers l’indifférence aux publications essentielles, par exemple, une vidéo qui démontre l’authenticité du moteur à eau est ignorée alors qu’elle devrait battre des records de partages. En revanche, la vidéo de mémé qui se casse la gueule en dansant la macarena sera vue et partagée des millions de fois. Ensuite par la prudence excessive interdisant de « liker », et donc de cautionner ce qui pourrait nuire à leur image, comme c'est le cas lorsque je lance un coup de gueule contre la chasse ou autre aberration, jamais je n'ai été suivi sur ce terrain, ou si peu. Sur Facebook, il convient de ne pas s’exprimer librement ni de s’énerver, c’est paaas bien, ce n’est pas politiquement correct, sinon vos amis vous déconsidèrent et finissent par vous tourner le dos définitivement.

Le trophée de la désolation revient à la futilité des partages tels que les devinettes proches du niveau zéro, formulées de façon puérile, dans une orthographe déplorable, exemple : « trouve un prénon comansant par A » ou « si tu devine ou ai le caré dan le décin té un jéni », sans oublier les platitudes qui se terminent par « partaje si té dacore ».

Différents profils caractérisent les Facebookeurs (le masculin est utilisé par commodité, n’en déplaise aux féministes). Il y a l’entreprise, l’association, l’organisme qui publie une information publique et pour qui ce réseau social est un vecteur indispensable. Il y a l’artiste, l’organisateur de spectacles qui annonce un événement marquant. Il y a l’utilisateur sympa et enthousiaste, dont je fais partie, qui publie les images de son périple en montagne, les photos d’un concert ou la présentation de sa nouvelle création artistique. Il y a l’utilisateur qui a fait de Facebook sa seule raison d’être, il y passe sa vie, du lever au coucher, y dévoilant jusqu’au moindre de ses faits et gestes, lui, il est transparent, sa vie est un livre ouvert, en cherchant bien sur sa page on trouvera certainement une photo de son gros caca. Il y a l’utilisateur qui ne publie jamais rien venant de lui, ni photo ni commentaire, rien d’autre que des partages, déplorant peut-être de ne pas recevoir d’adhésion de ses « amis » pour employer la métaphore de Facebook, amis qui ne sont en majorité que de simples contacts. Il y a l’espion, aux publications inexistantes, au profil opaque souvent représenté par une photo sexy délibérément choisie pour embobiner celui qui a la mauvaise idée d’accepter son invitation pour incrémenter son compteur d’amis, il se dissimule derrière un pseudo, il a ouvert un compte sur Facebook uniquement pour s’infiltrer et inspecter les listes d’amis. Et puis… il y a l’exécrable, le médiocre, le pire de tous, le hacker. Ce nuisible n’a qu’un seul objectif, pirater le compte de l’inconscient qui a cliqué sur un lien véreux dans Messenger et lui a ainsi ouvert la porte.

 

Confessions d'un never been

En cette fin d'année 2022, j'ai définitivement quitté Facebook. En douceur, sans claquer la porte et sans dire au revoir. Je conserve toutefois mes pages consacrées à mes activités : ma ville, Salon de Provence et ma page éditoriale fonten.fr.

Plusieurs motifs m'ont amené à démissionner de ce réseau. Pour la même raison que je ne regarde plus la télévision depuis deux ans, j'ai déserté Facebook à cause de la publicité, envahissante, indésirable. Je fuis la publicité comme un fléau, je la considère comme un lavage de cerveau, un conditionnement permanent de l'individu. Si la télé nous gave de pubs entre les séries policières nunuches et féministes** et la propagande de 20 h, Facebook insère un nombre croissant d'encarts publicitaires dans le fil d'actualité de ses membres, de la même manière que YouTube pollue les vidéos personnelles, c'est un harcèlement visuel et auditif incessant. En second lieu, je ne supportais plus les intrusions intempestives de la part d'inconnus qui ne font pas partie de mes contacts, ou plutôt mes amis, pour employer le vocabulaire de Facebook. A la mort de Wilko Johnson, en novembre dernier, j'étais submergé de news et de photos du rockeur. Ca encore, ça passait car j'appréciais beaucoup cette légende du rock. En revanche, ce qui m'insupportait et me mettait presque en colère, c'était les partages infantiles auxquels adhèrent des milliers de facebookeurs, pire, la plupart de mes amis. Pour ne pas rompre le lien fragile d'amitié, je m'abstenais de tout commentaire défavorable, pourtant, j'avais vraiment envie de leur dire « Arrêtez de partager ces conneries, putain ! » Navrant de constater que Facebook favorise la médiocrité intellectuelle. A force d'en abuser, Facebook rend con.

Le plus désolant, et c'est la troisième cause de mon désintérêt pour Facebook, c'était l'indifférence des "amis" lorsque j'annonçais la mise en ligne d'un album photos ou la sortie d'un nouveau livre que je venais d'écrire. Tout le monde s'en battait les couilles, pour parler cru. Au mieux, on ajoutait un like, sans cliquer pour autant sur le lien qui redirigeait vers la page de mon site photo ou éditorial. Je serais ingrat si je ne remerciais pas les quelques amis pour leurs likes, certains plus que d'autres qui n'aiment rien ni personne qu'eux-mêmes, mais pourquoi sont-ils restés avares de compliments lorsque j'en avais besoin. J'aurais peut-être dû ajouter l'incontournable formule de cohésion, en respectant le style : " partaje si té dacore ". Personne ne partageait ni ne commentait mes annonces littéraires, ce n'était pourtant pas grand chose, ce tout petit coup de pouce m'aurait fait plaisir, ils sont où les amis, mes amis ? Me serais-je trompé à leur sujet ? Il était probable qu'ourdissait peut-être l'écho d'une amertume : « Mais qu'est-ce que c'est que ce prétentieux qui a l'audace d'écrire un livre ! Pour qui il se prend, celui-là, oh ! » Cet abstensionisme me touchait beaucoup, aujourd'hui, je peux le dire, je m'en fiche. Eperdument.

Tel Paul Léautaud, je continuerai d'écrire pour le seul plaisir d'écrire et éventuellement pour qui apprécie mes histoires comme on apprécie un plat au restaurant. J'écris depuis l'âge de 10 ans, je parle de textes imaginés, je n'ai pas l'intention de m'arrêter d'écrire, n'en déplaise aux jaloux qui sont persuadés que je ne suis pas l'auteur de ma prose. Je continuerai de publier mes photos pour qui possède encore la faculté de s'émerveiller. Je continuerai d'alimenter mes sites pour l'internaute intéressé, aussi rare que muet. Le constat pourrait être terrible si je n'étais pas désabusé car, à la vérité, j'ai l'impression consternante de travailler dans l'indifférence générale, dans un monde blasé et politiquement correct dont les relations sont devenues jetables.

J'ai volé mon âme à un clown, mon cher Hubert-Félix.


* Facebook a été créé en 2004 par un étudiant de l'université Harvard, Mark Zuckerberg. Le nom vient de la traduction de trombinoscope (faces book). C'est le troisième site web le plus visité au monde après Google et YouTube.
** Voir l'article La greluche mène l'enquête

   

Dom's - 23 avril 2022 à 09:38

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