L’Eurovision de la gamelle

Quelle est la finalité du concours européen de la chanson ? Quel intérêt représente ce casting international dont les interprètes sont de parfaits inconnus ? On met sur la balance des candidats et des candidates plutôt novices, managés comme on manage une équipe de football, à qui on demande d’en mettre plein les oreilles, et la vue, au jury. La plupart du temps, la chanson vainqueur (et toutes les autres de surcroît) retombe dans l’oubli, ainsi que son interprète, après avoir rapporté un peu de pognon à ses auteurs. Gloire précaire au regard de la médiatisation qu’elle représente.

Cette année 2009, pour la 54ème édition, las des gadins répétitifs que la France ne cesse de se prendre depuis plus de 30 ans (la dernière victoire française remonte à 1977), les sélectionneurs ont fait appel à Patricia Kaas, une professionnelle, espérant qu’elle raflerait le trophée en allant jouer dans la cour des petits, qu’elle blufferait tout le monde avec une chanson très tendance Brel. Mais le jury n’était pas dupe. De surcroit, concourir dans un pays de l’Est, ce n’est pas de la foi qu’il faut avoir mais de la naïveté. La blonde à la voix kassée et ses coachs s’attendaient probablement à récolter le maximum de « poïn’ts » en allant se compromettre dans cette manigance multinationale. And one more time, it was a big gamelle.

Est-ce pour répondre au culte de Marianne qu’à l’Eurovision, la France est toujours représentée par des femmes ? A moins que le choix ne soit résolument féministe. De persister à s’enliser dans la nunucherie bon chic bon genre depuis les années 60, elle n’a pas évolué. Ne nous étonnons pas de se prendre une baffe. On l’a méritée.

Puisqu’il faut absolument couronner la chanson, elle devrait l’être au même titre que le cinéma, c’est à dire par une sorte de festival de Cannes de la chanson. Plutôt que de voir concourir des interprètes anonymes, on verrait monter sur scène ce que chaque pays a de meilleur ou de plus médiatique. Si la France était représentée par Michel Polnareff ou par Mylène Farmer on remporterait la palme à coup sûr. Avec sa poupée de cire écrite et composée par Serge Gainsbourg, France Gall avait remporté la victoire en 1965, hélas, elle ne concourait pas pour la France mais pour le Luxembourg. Vous avez dit bizarre ? À titre indicatif, Elton John en son temps rêvait de participer à ce concours. Encore très jeune, il n'a pas été sélectionné. Preuve que le talent n'est pas un critère pour concourir à l'Eurovision de la chanson.

Sans crier cocorico, il faut reconnaître de façon objective que notre vieux pays possède un palmarès aussi glorieux qu’universel en terme de chanson : Georges Brassens, Édith Piaf, Charles Trenet, Léo Ferré, Serge Lama, Claude François, Charles Aznavour, Johnny Hallyday, Hubert-Félix Thiéfaine, Françoise Hardy, Jacques Dutronc, Sylvie Vartan, Joe Dassin, Michel Polnareff, Alain Bashung, Jean Ferrat, William Sheller, Véronique Sanson, Daniel Balavoine, Jean-Jacques Goldmann, Michel Berger, Barbara, Eddy Mitchell, Mylène Farmer, Catherine Lara, Sheila, Julien Clerc, Maxime Le Forestier, Alain Souchon, Dalida, Régine, Pierre Perret, Francis Cabrel, Michel Delpech, Georges Moustaki, Richard Gotainer, Laurent Voulzy, Nino Ferrer, Renaud, Guy Béart, Claude Nougaro, Michel Sardou, Gilbert Bécaud, Christophe, Serge Gainsbourg, Jane Birkin, Michel Jonasz, Michel Fugain, Bernard Lavilliers, France Gall, Serge Reggiani, Henri Salvador, Yves Simon, Pierre Bachelet, Boris Vian, Francis Lalanne, Mathieu Chédid, Alain Chamfort, Hugues Aufray, Charlélie Couture, Enrico Macias, Yves Duteil, Charles Dumont, Patrick Juvet, Line Renaud, Jacques Higelin, Boby Lapointe, Nicoletta, Yves Montand, Guy Marchand, Richard Anthony, Juliette Greco, Dick Rivers, Gilbert Montagné, Hervé Vilard, Adamo, Gérard Lenorman, Frédéric François, Nicole Croisille, Mireille Mathieu, Nicolas Peyrac, Marcel Amont, Sacha Distel, Marcel Zanini, Mort Shuman, Alain Barrière, Tino Rossi, etc etc, ajoutons les groupes, Ange, Martin Circus, Rita Mitsouko, Indochine, la Compagnie Créole, Téléphone, Malicorne, les Charlots, Noir Désir… Et aussi Jacques Brel, Dick Annegarn, Demis Roussos, Annie Cordy, Julos Beaucarne, Mike Brant, Frédérik Mey ; sans oublier le très riche panel des stars 80, Desireless, Patrick Hernandez, Jeanne Mas, Émile et Images, Jean-Pierre Mader, Jean-Luc Lahaye... Aucun pays au monde ne possède une telle palette d’interprètes, d’auteurs et de compositeurs au sein de son périmètre. Hors de France, l’Angleterre a ébloui le monde par son potentiel inégalé de rockers, Elton John, les Rolling Stones, Joe Cocker, David Bowie, George Michael, Talk Talk, Queen, Slade et bien sûr les Beatles. L’Angleterre restera toujours le terroir du rock. L’Italie compte à son actif les excellents Adriano Celentano, Paolo Conte, Angelo Branduardi, Zucchero… Quant à l’Allemagne, elle nous a donné Klaus Nomi, Nina Hagen, sans oublier le pyrotechnique Rammstein. Mais aux yeux du monde entier, la France restera toujours le berceau de la chanson populaire, paradoxalement toujours très mal représentée à l’Eurovision.

Par fierté, la France pourrait avoir l’élégance de se retirer de cette absurde mascarade européenne. Depuis longtemps, indétrônable sur son piédestal musical, la France n’a plus rien à prouver en matière de chanson. Alors, pourquoi continuer à se ridiculiser de la sorte ? Arrêtons les frais, cessons la honte, retirons-nous de cette arène acoustique préfabriquée qui est à des années-lumière du talent français qui n’a absolument pas besoin de se prostituer pour obtenir des points, rien d’autre que des points, attribués par une caste corrompue, inconsciemment (ou pas) revancharde à l’égard de la qualité musicale made in France.

L’Eurovision de la chanson a ceci en commun avec l’élection de Miss France, c’est que les dés sont pipés. Ce n’est que mise en scène. Il s’agit d’un challenge à caractère diplomatique, un prestige éphémère et renouvelable. On s’en fout.

 

Dom's - 13 mai 2009 à 23:54

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