Pas de tralala dans mon assiette

Définitions poétiques ou formulations originales, le vocabulaire gastronomique nécessiterait parfois un dictionnaire à lui seul tant les nouveaux termes investissent les menus et autres cartes pompeuses. Plein d’enthousiasme, vous vous laissez séduire par « la darne agreste du Périgord sur sa frondaison potagère » à 67 euros et on vous sert royalement un petit morceau de pâté sur une feuille de laitue, agrémenté de la réplique traditionnelle de tout serveur qui se respecte : « bonne continuation ! » Sauf qu’en voyant l’assiette, on n’a plus tellement envie de continuationner.

Parmi les formules ronflantes qui agrémentent les cartes des restaurants, il en est une qui m'amuse un tantinet, c'est « écrasée de pomme de terre ». La première fois que j'ai lu ça, très honnêtement, je me demandais ce que ça voulait dire. Je questionne. Le serveur m'explique que c'est une pomme de terre vapeur écrasée à la fourchette. Je le regarde, les yeux ronds, pensant qu'il se fiche de moi, qu'il subit une sorte de bizutage. Que nenni, le garçon est on ne peut plus sérieux, voire protocolaire, et me détaille la chose avec autant de panache que s'il était question d'un plat des plus délectables. Surpris, j'ajoute : « oui, c'est une pomme de terre écrasée, un menu enfant, quoi » bien que menu bébé convienne mieux. Là, je sens une ombre dans le regard du groom, et conclus la discussion par le choix d'un accompagnement moins enfantin. Avec un certain étonnement, j’en déduis que si l’option d’écrasement est proposée sur une carte, écraser une pomme de terre à l’aide d’une fourchette nécessite probablement un effort insurmontable pour certains convives. Dans l'attente de mon plat, je médite sur une évolution du vocabulaire gastronomique dans la veine de cette « écrasée de pomme de terre » et imagine un client énumérer sa commande en conséquence :

― Eh bieeen... je prendrai au préalable un arrosé de pastis et son amusée de bouche. Après... vous me servirez un touillé de potage, suivi d’un coupé de rôti et son mélangé de légumes, assortis d'une remuée de salade. Ensuite, une beurrée de tartine pour aller avec le découpé de fromage. Pour finir, une moulée de boules givrées et son nappé de coulis. Comme vin, disooons... un versé de Couillu-Branlessac !

À moins d’être connaisseur, la carte des vins est souvent un mystère insondable. Les vins médaillés titrent souvent au-delà de 14, voire 15 degrés, ce n’est plus du vin, c’est de l’apéritif. L’appellation « vin médaillé » est un argument destiné à séduire les novices au palais approximatif afin d’écouler le picrate local. Les grands crus n’ont pas besoin de cette distinction falsifiée. Le savoir-faire œnologique ancestral est un lointain souvenir, trouver aujourd'hui du bon vin à 12 degrés est devenu un véritable jeu de piste. C’est la raison pour laquelle au restaurant, le degré n’est jamais mentionné sur la carte des vins alors que c’est une information essentielle. Dans le doute, la prudence me recommande de choisir le pichet, qu’il faut bien sûr biberonner… roulement de tambour... « aveeec mooodéééraaatiooon » on vous l’a dit et répété ! Quoique le pichet n'est pas non plus un gage de saveur, surtout quand le carafon de rouge, éventé et glacé, sort du frigo dans lequel il a végété parmi d'autres pichets préalablement remplis. Dans mon long parcours de convive, c'est rare mais il m'est arrivé de tâter du pichet franchement dégueulasse. On pénètre parfois dans une gargote à notre insu, les plats y sont immangeables ou le service se fait par-dessus la jambe, voire à la tête du client. Lorsque, par exemple, d’autres bénéficient d'égards qui ne nous sont pas accordés, que l’attente est interminable, ou encore qu’une consommation non commandée s’est glissée sur l’addition. Les restaurants qui veulent rentabiliser à tout prix, et ils sont nombreux, rabiotent, c’est-à-dire que les quantités servies diminuent sensiblement, jour après jour, mais pas le prix ! Ces restaus de mauvais goût ne me revoient jamais, le souvenir amer qu’ils me laissent est à déféquer d’urgence.

Avec l'écrasée de pommes de terre, une autre formule à la mode revient fréquemment sur les cartes, c'est le plat « du moment » (le dessert du moment, la soupe du moment, les légumes du moment, la barbaque du moment, etc, selon la fantaisie de l'établissement). « Du moment » remplace plus ou moins du jour, en ce sens que le moment peut s'étendre sur plusieurs jours jusqu'à saturation ou fin de stock des ingrédients… du moment.

Parlons des amuse-gueule, ces petits hors-d’œuvre qui font fait la joie des apéritifs. Un beau soir, une donzelle effarouchée, lisant le terme amuse-gueule sur un menu, s’offusqua, peuchère, qu’on prît sa face pour un museau. Progressivement, les restaurants et les soirées organisées remplacèrent sur leur carte le populaire amuse-gueule par le terme politiquement correct « amuse-bouche ». Consternation-on-on-on chanterait Alain Souchon. L’expression « amuse-bouche » est d’autant plus ridicule que si vous demandez à un convive ce qu’il fait alors qu’il croque des cacahouètes ou des chips, il y a peu de chance qu’il réponde « je m’amuse la bouche ». Le terme amuse-gueule n’est pas à prendre au pied de la lettre, c’est une expression équivalente à gueule de bois ou coup de gueule. Selon la logique consternante et discutable des précieux et précieuses ridicules indignés par le terme gueule (les pauvres choux peuchère), il convient par conséquent d’adapter l’intégralité des expressions comportant le mot gueule pour le remplacer par le mot « bouche ». Fort de ce concept, ne dites plus ça a de la gueule, dites « ça a de la bouche » ; ne dites plus une grande gueule, dites une « grande bouche » ; ne dites plus un coup de gueule, dites un « coup de bouche » ; ne dites plus une gueule de bois, dites une « bouche de bois » ; ne dites plus une gueule d’ange, dites une « bouche d’ange » ; ne dites plus Ta gueule ! dites « Ta bouche ! » ; ne dites plus un brûle-gueule, dites un « brûle-bouche » ; ne chantez plus Quoi ma gueule, qu’est-ce qu’elle a ma gueule, chantez « Quoi ma bouche, qu’est-ce qu’elle a ma bouche ».

Si la cuisine française est toujours aussi renommée, son vocabulaire devient de plus en plus sophistiqué, recherché, inaccessible. Il n’y a que les menus dits enfants qui sont limpides, c’est steak haché ou machin pané avec des frites, la formule est invariable dans tous les coins de l’Hexagone. Ces menus aménagés vont à contresens de l'éducation, ils confortent les enfants difficiles dans des menus basiques et déséquilibrés qui feront d'eux, une fois adultes, de pénibles j'aime-pas-ci-j'aime-pas-ça. Un enfant doit apprendre à manger la même chose que ses parents, le palais aussi s’éduque.

Plus les noms des mets sont savants, plus leur prix est prohibitif et moins il y en a dans l'assiette. Avec la cuisine contemporaine et créative, fi des buffets froids, des spaghettis carbonara ou des anchoïades provençales, on ne donne pas dans le populaire, on ne mange pas, non madame. Dans les restaurants classés, étoilés comme des sapins de Noël, on hume, on déguste, on goûte, on mordille, on se mignardise les papilles, on expérimente les saveurs, on se masturbe l'épiglotte, on se minaude de chaque bouchée, deux ou trois, pas une de plus. Finie la cuisine à papa, place à l'art ! Ce n'est pas une assiette garnie qu'on y sert mais un tableau culinaire qui se savoure des yeux. Parfois on y trouve des fleurs. Des fleurs dans une assiette ! Les snobs trouvent ça appétissant, moi pas.

La cuisine moderne, c'est parfois de la cuisine vite-fait. Le menu propose une écrasée de pomme de terre mais rarement, voire jamais, une pelée de pomme de terre, ce que j'apprécierais lorsqu’on me sert des pommes de terre « en robe des champs », formule élégante qui signifie qu'on est trop fainéant pour éplucher les patates avant de les servir. Que le client se démerde.

Au non-épluchage, s'ajoute la non-cuisson, par exemple le foie, servi presque cru ou pire, les rognons non ou à peine cuits. Un jour, dans un restaurant aux abords corrects et recommandables, je commande des rognons. Horreur ! Je vois arriver une assiette garnie d'un rognon entier coupé dans le sens de la longueur, cru, directement sorti de la bête, pas même débarrassé de toute la partie cartilagineuse. Je me retiens de rétorquer au serveur « Vous vous figurez que je vais manger ça ? » Pour moi, les rognons, c'est uniquement la partie charnue, coupée en petits morceaux, mijotés avec une sauce aux champignons ou au madère, pas cette dissection anatomique disposée dans une assiette. Ça, c'est bon pour les taré(e)s qui bouffent la cervelle crue directement dans le crâne du singe encore vivant. Le garçon est reparti en cuisine avec son organe sous le bras pour revenir avec un steak cuit à point, j’ai insisté. La cuisson devait leur poser des problèmes. Il ne m'a jamais revu.

Si la restauration traditionnelle est alléchante, la cuisine créative est visuelle. Tous les cuisiniers semblent sortir de la même école, c'est l'enseignement uniforme du tralala dans l'assiette car voir un petit coup c’est agréable, voir un petit coup c’est doux. Désormais, le gastronome averti ne va plus au restaurant pour se restaurer, il y va comme s'il allait dans une galerie de peintures contemporaines, sous le regard du toqué qui, descendu de son piédestal, pavoise son ego de table en table, en quête de flagornerie. Admirez messieurs-dames, le haricot jaune aux trois beurres décorant le médaillon de purée de coquelicots cueillis du matin sur la colline, et là, dans le coin de l'assiette trapézoïdale, contemplez l’olive cassée au fenouil des Açores surmontant la rondelle de mérou de Mozambique et son grain de riz mi-cuit. Pas de quoi remplir une dent creuse mais Dieu que c’est beau, chantait Daniel Balavoine.

Pour ma part, au restaurant, j’apprécie que ce soit bon, copieux et sans fioritures. Par bonheur, on trouve encore d’excellents restaurants, populaires ou classés, qui ne se compromettent pas dans le cabotinage culinaire. Je ne franchis jamais la porte de ces établissements chics-chocs et aseptisés où il y a peau de balle dans l'assiette, ces enseignes ronflantes et prétentieuses qu'on quitte en ayant aussi faim que quand on y est entré, et qui, de surcroît, coûtent une blinde. Je préfère encore un jambon-beurre sur le zinc d'un buffet de gare. Se sustenter chez Troudebal, c’est pour les kékés flambeurs politiquement corrects pour qui le chichi n’a pas de prix.

 

Dom's - 10 mai 2022 à 21:55

3 commentaires

Ou

Dom's le 09 août 2022 - 18:15

A ceux qui se poseraient la question de savoir pourquoi la date des commentaires est antérieure à celle de l'article : simplement parce que l'article original est antérieur aux commentaires et qu'il a été actualisé à une date ultérieure, c'est on ne peut plus limpide.

Dom's le 08 février 2022 - 12:55

Réponse à brice : 04

brice le 08 février 2022 - 09:56

sa va trot loin je vai lencé une plinte diciplinaire a l encontre de votre persone civil pour attinte a lintégitée de la cuisine francaise il fot pas ecrire des choze paraille quand on sé pa