Un seigneur victime des ploucs

Il y a quelques semaines j’ai caressé un loup. Ou plutôt une louve. Comme on caresse un toutou. C’était à la Reconstitution Historique de Salon-de-Provence. Je ne pensais pas que le loup soit craintif à ce point, il tremblait presque, il avait les oreilles rabattues et la queue entre les jambes. Celui qui prétend être tombé nez à nez avec un loup est un gros menteur ou alors c’était un loup atteint de la maladie d’Alzheimer.

On raconte tellement de conneries à propos du loup, animal peureux, surtout de l’homme. Le loup a toujours eu le mauvais rôle dans la littérature et dans les contes pour enfants, La chèvre de monsieur Seguin, Le petit chaperon rouge et tant d’autres. Depuis son plus jeune âge, l’enfant est conditionné par la peur du loup, c’est même devenu une expression courante. Hélas, de nombreux adultes n’ont pas tellement évolué depuis leur enfance, ils restent persuadés que le loup est un monstre. Alors que le loup est un seigneur, comme le lion est un roi.

Régulièrement, le loup est mis au banc des accusés au journal télévisé. C’est toujours la même rengaine, les ploucs pleurent parce que le loup attaque leur troupeau. Il serait bon de rappeler, entre deux jérémiades, que les éleveurs sont indemnisés pour chaque bête agressée par un loup à condition que ce soit attesté par les experts. Or il existe des chiens sauvages, notamment ceux que leurs crétins de maîtres abandonnent et qui retrouvent leurs instincts. On compte également d’autres prédateurs, comme le renard, etc. S’il trouve une bête en charpie, le berger (ou l’éleveur) a donc tout intérêt à prétendre que c’est un loup qui a fait le coup pour toucher l’indemnité. Il ne cherche pas plus loin. Sinon, peau d’balle mon gars, des clous, bernique, nada. Et comme la commission d’enquête conclut neuf fois sur dix à un non-lieu pour le loup, puisqu’il est innocent, le plouc décontenancé se tourne vers les médias pour pleurnicher devant leurs caméras condescendantes. Pour les charognards de journalistes, le marronnier est toujours bon à prendre quand l’actualité est pauvre en catastrophe ferroviaire ou en affaire pédophile. Ça fait toujours un sujet sensible à ajouter au sommaire, entre Strauss-Kahn et Betancourt.

Il arrive que le loup s’attaque aux brebis mais il ne choisit pas n’importe laquelle, sa proie est en général une bête blessée ou à la traîne. Les autres moutons voyant débarquer l’ennemi public numéro un, paniquent aussitôt et c’est le merdier sur les alpages. Quand plus tard le berger découvre le tableau, on connait la suite. Question : où il était le berger quand le loup s’est approché ? S’il avait été près de son troupeau, le loup l’aurait senti et n’aurait certainement pas attaqué.

Ci-après, deux anecdotes qui révèlent le manque cruel d’attention dont ont été l’objet les bêtes de ceux qui veulent la peau du loup.

1. Une jeune fille faisait des récoltes de fruits, un emploi saisonnier. A proximité de la plantation dans laquelle elle travaillait elle entendait des bêlements plaintifs qui duraient inlassablement. A la fin de sa journée, elle tenta de se rapprocher de la source de ses bêlements et remarqua avec horreur que trois brebis étaient tombées dans un grand trou dont elles n’arrivaient pas à sortir. Deux étaient mortes d’épuisement dans des souffrances qu’on n’imagine pas. La troisième, celle qui bêlait, était à bout de force. La fille alerta alors des proches qui contactèrent aussitôt un éleveur local. Arriva une femme qui tira l’animal de ce trou « sans ménagement » précisa-t-elle. Cette éleveuse ne manifestait pas la moindre attention auprès des animaux dont elle avait la garde et serait la première à geindre si d’aventure le loup lui mangeait une brebis pour laquelle, répétons-le encore une fois, elle serait indemnisée.

2. Lors d’une randonnée dans les Alpes, j’ai marché près d’un troupeau sans berger, des centaines de bêtes en toute liberté, seulement encadrées par quelques patous, ces gros chiens qui ressemblent à des saint-bernards. Je n’ai pas vu l’ombre d’un berger. Certaines brebis boitaient, ça faisait peine à voir. Il s’en contrefiche royalement l’éleveur que ses bêtes souffrent, alors à quoi rime ce cinéma ? Les accompagne-t-il jusqu’à l’abattoir ? Car tel est l’inévitable destin des brebis une fois la laine tondue et retondue. A-t-il assisté à la façon atroce dont sont tuées ses bêtes pour lesquelles il ne manifeste qu’une affection médiatique ?

Quand on est brebis, il est préférable de mourir sous les crocs du loup que sous les lames des usines de la mort. Un loup tue proprement, il étouffe d’abord sa proie dans sa gueule puis la dépèce ensuite. Dans un abattoir, on saute la première étape pour gagner du temps. Il peut arriver que le loup attaque l’homme mais uniquement pour se défendre ou défendre sa progéniture si l’imbécile s’aventure sur son territoire.

En Espagne et en Italie, il y a des ours et des loups en liberté. Leur population est nombreuse. Personne ne s’en plaint. Bêtes et hommes font bon ménage. Hélas, en France, la peur du loup est aussi tenace que ridicule. Le métier de berger, autrefois noble et vertueux, à l’image de Jésus protecteur des hommes, a évolué, il est aujourd’hui remis en question. C’est une profession qui s’apparente à celle d’éleveur mais pour éviter de payer un berger, les propriétaires du bétail préfèrent les laisser sans surveillance, une aubaine pour les prédateurs.

Il existe encore des vrais bergers qui perpétuent la tradition de ce gardiennage ancestral et n’ont de ce fait aucun problème avec les loups, car proches de leur troupeau. Les nouveaux bergers s’adaptent mal aux conditions souvent spartiates qu’exige ce dur métier. Le loup est un bouc émissaire médiatique à ces conditions difficiles, d’un autre âge, presque anachroniques. D’une manière assez rustre, ils revendiquent leur statut. Pour qu’ils soient entendus, ils rejettent leurs problèmes sur un animal dont les prétendus ravages sont très hypothétiques. La révolte est d’autant plus hypocrite que tous les bergers perdent une partie de leurs bêtes dans des conditions souvent plus dramatiques (chutes, maladie). Quand les loups auront disparu, victimes de la connerie et du journalisme complaisant, les éleveurs chagrins trouveront un autre motif pour se plaindre, l’ours, le lynx, les étourneaux, le dahut, voire le croquemitaine des montagnes…

Par bonheur, on trouve encore des bergers qui ne veulent pas la peau du loup pas plus que la peau du renard exterminé avec cruauté par les adeptes de cette acticité stupide qui s'appelle la chasse. Ces bergers plus fûtés que la moyenne aimeraient s’en faire un ami, un ami distant certes, mais un ami de la nature comme un élément qu’on n’apprivoise pas. Il existe des bergers humbles et généreux qui déplorent de voir leurs confrères perdre leur dignité devant les caméras de télévision, à chanter leur chanson falsifiée qui agace des amoureux de la nature et des animaux. Les vrais bergers perpétuent l’Histoire pastorale et n’ont rien à voir avec cette race d’éleveurs-chefs-d’entreprise, qui ne voient dans leurs troupeaux qu’une source de profit et dans le loup un élément perturbateur à leur business dont il convient d’amplifier l’impact à grand renfort de publicité, honteusement déguisée.

Terminons cet article par une image de celui qui donna au loup son plus beau rôle, monsieur Tex Avery.

 

Dom's - 09 juillet 2021 à 07:20

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