Vais vous mater mon gaillard !

Je viens récemment d'acquérir une BD intitulée Sergent Laterreur. C'est un livre d'occasion que j'ai trouvé auprès d'un bouquiniste belge qui a pignon sur internet. La couverture est intégralement recouverte d'un plastique autocollant mais il est en parfait état, comme neuf. Il devait probablement faire partie de l'inventaire d'une bibliothèque publique et n'a certainement jamais été lu ou alors par des lecteurs soigneux et respectueux du bien d'autrui, ce qui est de plus en plus rare.

Le personnage du sergent Laterreur fait partie du Panthéon de mon adolescence, aux côtés du Grand Duduche, du Concombre masqué, de Philémon, des personnages désopilants de Gotlib et de Reiser, bref de tout ce qui faisait la fantaisie du journal qui s'amuse à réfléchir, les connaisseurs auront reconnu le slogan du journal Pilote que j'ai repris pour agrémenter l'en-tête de cet incomparable blog (jetons-nous quelques fleurs au passage, ça mange pas de pain). Chaque semaine, je me délectais à lire presque intégralement le cher et désiré hebdomadaire. Je me souviens de mon copain Michel qui imitait Laterreur dans la cour de récré du lycée technique "vous ai à l’œil mon gailllllaaaard !", Pilote et le sergent Laterreur, c'était notre référence littéraire du moment, notre récréation spirituelle, un art de vivre en quelque sorte.

A cette époque, au début des années 70, j'ignorais encore qu'à peine quelques années plus tard, je côtoierais ce genre de personnage, au tempérament vachard, dans la réalité, au service militaire à Châlons-sur-Marne, comme si Laterreur était le stéréotype des sergents de toutes les casernes de France... de l'époque, avant l'abolition du service militaire (je n'épiloguerai pas sur le sujet, disons que c'est une sacrée leçon de vie qui a foutu le camp). Car les ordres se donnaient toujours en gueulant, c'était comme ça, on y était habitués et à l'instar de son souffre-douleur aussi rond que muet et représentant la 5ème compagnie à lui seul, on claquait les talons mains tendues sur la couture du pantalon en signe d'obéissance.

Pour dépeindre cet abominable sergent, unique dans la bande dessinée, le trait et le style de Touïs touchent la perfection. La caricature est outrancière à souhait jusque dans le détail, un pur bonheur. Par exemple, pour illustrer les ordres vociférés par son personnage, le dessinateur trace des lettres énormes, en relief dans la bulle dont la pointe descend jusqu'au fond de la gorge du sergent Laterreur, la bouche aussi béante que la gueule d'un dinosaure prêt à gober sa proie.

Les éditions L'association ont eu l'excellente idée d'intégrer à la fin de ce superbe album-collector, des planches originales crayonnées sur un papier mat différent des autres pages en papier glacé tout couleur, ainsi que quelques documents rares issus de précieuses archives personnelles des auteurs. Ce livre est paru en 2006, ce n'est pas si vieux et pourtant à cette date, le sergent Laterreur faisait depuis longtemps partie du passé. 50 ans après que je m'amusais de ses aventures dans Pilote, je le redécouvre avec émerveillement car ce livre est comme une machine à voyager dans le temps, c'est une plongée directe dans mon adolescence. Et, longtemps encore, dans une déférence appliquée, je me ferai le "gaillaaaard maté" par ce petit sergent teigneux, en lecteur admiratif et nostalgique. Clac !


Dessin Touïs

 

Dom's - 19 novembre 2022 à 16:21

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